Les Roses de Notre-Dame de Paris, un chef-d’œuvre de lumière | Connaissance des Arts (2024)

Construites au XIIIe siècle, les trois roses monumentales de Notre-Dame de Paris ont miraculeusem*nt été épargnées par l'incendie de 2019. Découvrez l'histoire tourmentée et les secrets persistants de ces chefs-d'œuvre de lumière.

À partir de la seconde moitié du XIIe siècle, la lumière pénètre davantage dans les sanctuaires, à mesure que s’affirme une nouvelle conception de l’architecture, que l’on baptisera plus tard gothique. Les baies se multiplient en même temps que leur taille s’accroît. Le phénomène s’avère particulièrement spectaculaire sur les façades où de vastes compositions circulaires vitrées, les roses, occupent une large partie de la paroi. Celles de Notre-Dame de Paris sont au nombre de trois. La plus ancienne, située sur la façade occidentale, est visible depuis le parvis. Les deux autres ornent les façades nord et sud du transept.

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Une histoire tourmentée

Elles ont été construites successivement entre le début des années1220 et1270. Épargnées par l’incendie du 15avril 2019, les roses n’en ont pas moins connu une histoire tourmentée, marquée par de nombreuses reprises et restaurations, et à propos de laquelle subsistent de multiples interrogations. La documentation est muette sur le nombre et l’identité des maîtres verriers impliqués dans la réalisation de ces œuvres. De même, «il est difficile de déterminer si les vitraux ont été entrepris après l’achèvement de la maçonnerie ou s’ils ont été réalisés parallèlement sur la base de dessins», souligne Élisabeth Pillet, conservatrice du patrimoine, spécialiste de la restauration des vitraux, rattachée au Centre André Chastel de Sorbonne Université.

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Façade sud de la cathédrale Notre-Dame de Paris ©Wikimedia Commons

Un monument composite, duXIIIe au XIXesiècle

Une chose est sûre, en revanche: l’installation des verrières s’opère de la même manière que sur une baie ordinaire. «Il y a toujours une feuillure dans laquelle le vitrail est inséré, puis maçonné. Et il est renforcé par une barlotière, une pièce de métal plus ou moins épaisse, qui en assure la rigidité. Parfois, les médaillons sont tenus par des cercles de fer, renforcés par des clavettes.» En dépit de ces précautions, le vitrail n’en reste pas moins fragile, soumis particulièrement aux aléas climatiques (tempêtes, grêle…). Au fil des siècles, ces vicissitudes ont conduit au remplacement de nombreux vitraux. En 1959, l’historien d’art Jean Lafond publie une première critique d’authenticité réalisée depuis le sol, à la jumelle. En 2021, l’établissem*nt public a mandaté le Centre André Chastel pour mener une nouvelle critique d’authenticité mais à hauteur d’œil cette fois, grâce aux échafaudages nécessaires aux travaux de nettoyage et de restauration actuellement en cours. Ces deux études ont mis en évidence le caractère composite des œuvres arrivées jusqu’à nous, certains éléments ayant été remplacés par Viollet-le-Duc, d’autres étant encore d’origine. En tout état de cause, Notre-Dame est, avec la Sainte-Chapelle, le seul monument parisien à conserver des vitraux du XIIIesiècle.

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Rose Nord de de la cathédrale Notre-Dame de Paris © akg-images/Bildarchiv Monheim

Culte voué à Marie

La première rose, et donc la plus ancienne, se trouve sur la façade occidentale, elle est datée des années 1230. C’est aussi la plus petite des trois, avec tout de même 9,6 mètres de diamètre. En son centre, la Vierge à l’Enfant trône, entourée des douze tribus d’Israël. Viennent ensuite les signes du zodiaque associés aux travaux des mois, puis, dans le dernier cercle, un miroir moralisé des vices et des vertus, lesquels sont personnifiés par des figures ou des animaux. Deux brebis incarnent ainsi la Douceur et la Charité, quand un homme fuyant devant un lièvre symbolise, lui, la Lâcheté. L’ensemble est complété par des verrières purement décoratives.

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Façade ouest de la cathédrale Notre-Dame de Paris ©Wikimedia Commons

Cette rose, souligne l’historien d’art Daniel Russo, «témoigne de la centralité du culte voué à Marie dans la cathédrale, par ce support qui lui est particulièrement adapté, comme c’est le cas dans les réalisations contemporaines à Laon, à Soissons, àSaint-Quentin, à Troyes». Quant aux autres thèmes – travaux des mois, vices et vertus –, on les retrouve dans les décors sculptés sur les portails de cette même façade occidentale. En associant la figure de la Vierge à la représentation des dimensions temporelles (les calendriers céleste et terrestre), spatiales (les tribus d’Israël) et morales (vices etvertus) du monde et de l’homme, le tout dans un cercle, symbole de divinité, placé au centre du carré presque parfait de la facade, symbole d’humanité, c’est toute la façade qui développe le thème de l’Incarnation du Christ, étudiée à la même époque par les théologiens de l’Université de Paris. Sur le plan purement historique, «la rose ouest est une des plus intéressantes, car des interventions du XVIesiècle ont été laissées en place, comme celles du XVIIIesiècle, précise Élisabeth Pillet. En effet, ces éléments étaient un peu cachés par le grand orgue. On n’a donc pas jugé nécessaire de les remplacer.»

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Détail de la façade ouest de la cathédrale Notre-Dame de Paris © P Deliss/Godong/akg-images

Rassemblement biblique

Les deux roses sur les façades des transepts sontmarquées par un développement plus monumental encore, affichant un diamètre de 13 mètres, quien fait les plus grandes du monde gothique. Édifiée sous la direction de Jean de Chelles, celle dunord se déploie en seize pétales, divisés en quatre-vingts médaillons, organisés autour de la Vierge, de nouveau placée en position centrale. Les trois cercles de médaillons représentent des figures de l’Ancien Testament: prophètes, juges et rois d’Israël et de Judas, patriarches et prêtres, identifiés par des phylactères (banderole, aux extrémités enroulées, portant les paroles prononcées par un personnage ou la légende du sujet représenté, surtout utilisée par les artistes du Moyen Âge et de la Renaissance.). Tous sont tournés vers la Vierge ou la désignent du doigt. «Ni les peintres-verriers de Notre-Dame, ni même les chanoines qui les dirigeaient n’ont eu à chercher eux-mêmes leurs personnages dans les livres saints, relevait Jean Lafond. Des catalogues compilés depuis longtemps et recueillis par les “encyclopédies” médiévales ont permis de constituer sans difficulté le rassemblement biblique le plus important peut-être qui nous ait été conservé dans l’art monumental.»

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Eugène Viollet-le-Duc, Cathédrale Notre-Dame de Paris. Elévation partielle de la rose du transept sud, 1859, encre de Chine sur papier calque contrecollé sur papier, 40 x 68 cm, Charenton-le-Pont, Médiathèque du patrimoine de la photographie. © Ministère de la Culture-Médiathèque du patrimoine et de la photographie, Dist. RMN-Grand Palais/image Médiathèque du Patrimoine

Sur le plan technique, la réalisation d’un si grand nombre de personnages appelait une certaine efficacité. Ainsi, «quatre modèles seulement ont servi pour les médaillons des prophètes, poursuivait Lafond. Dans le deuxième cercle, douze modèles ont fourni vingt-six médaillons. Pour trente trèfles extérieurs, dix modèles ont suffi. Ces répétitions, masquées par un changement de couleurs, n’apparaissent qu’aux observateurs patients.» Au fil des siècles, la rose nord est sans doute celle qui a subi le moins d’interventions. Cette relative préservation permet en partie de suppléer l’absence de documentation. Ainsi, Karine Boulanger, spécialiste du vitrail médiéval au sein du Centre André Chastel, pense avoir identifié trois mains différentes, en observant les variations dans la façon de peindre les têtes des personnages.

Libertés iconographiques

En revanche, la rose méridionale, élevée dans les années 1260, a, elle, connu de profonds bouleversem*nts. Édifiée par Jean de Chelles, puis Pierre de Montreuil, elle a été reconstruite deux fois, en 1727-1728, puis en 1854. En effet, l’instabilité de la maçonnerie avait rendu nécessaire ces interventions drastiques. La première est menée par le peintre-verrier Guillaume Brice. Pour remplacer les éléments manquants ou dégradés, il n’hésite pas à récupérer ailleurs des vitraux anciens.Il inclut ainsi neuf scènes de la Légende de saint Matthieu, des vitraux du XIIesiècle dont on ignore la provenance. On mesure à cette occasion à quel point, dans ce genre d’opérations, l’effet visuel prime sur la cohérence iconographique. Car ces épisodes hagiographiques n’ont rien à voir avec le thème initial de la verrière: sur le médaillon central, Dieu trônait en majesté au milieu du Paradis, noyau autour duquel gravitaient martyrs et confesseurs, eux-mêmes accompagnés d’un anneau d’anges portant des couronnes ou tenant des flambeaux ou des encensoirs. Pour adapter les panneaux servant de bouche-trous, Brice retaille des verres, en assemble d’autres, peint des draperies et des têtes. Il remplace enfin la figure divine par les armes du cardinal de Noailles, qui finance les travaux!

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Au XIXe siècle, Viollet-le-Duc a demandé au verrier Alfred Gérente de restaurer la rose sud. Il reconstitue les médaillons manquants dans l’esprit du Moyen-Age, en s’inspirant des vitraux de Chartres, et replace un Christ de l’Apocalypse au centre de la rose pour lui redonner son sens. © Vyacheslav Lopatin/Alamy Stock Photo/hemis.fr

Déontologie de la restauration

Lors de la grande restauration de Notre-Dame, menée par Viollet-le-Duc et Lassus, la rose est à nouveau reconstruite, selon un dessin différent, entraînant une redistribution des médaillons. Le peintre-verrier Alfred Gérente, qui intervient aussi sur la rose ouest, crée de nouveaux médaillons sur des cartons du peintre Louis-Auguste Steinheil. S’il laisse de nombreux bouche-trous en place, il régularise certaines fantaisies de Brice et refait notamment l’oculus central où il introduit un Christ de l’Apocalypse: face à la rose nord, aux couleurs froides et dé – diées à l’Ancien Testament, le chatoiement des couleurs chaudes éclairées par le soleil au sud retrouvait sa lisibilité. En ce milieu du XIXesiècle, une déontologie de la restauration commence à se mettre en place. Si des instructions existent, «leur application n’est pas nette et franche», constate Élisabeth Pillet. «Bien des restaurations nous paraissent aujourd’hui abusives. Mais il faut savoir qu’à l’époque, on ne pouvait pas recoller un verre cassé, la technique du collage des pièces n’ayant été mise au point que dans les années 1950.» À leur façon, les roses de Notre-Dame racontent ainsi une histoire de la restauration.

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